Une nouvelle chronique de Thierry Rollet (auteur, éditeur et agent littéraire) — « La nouvelle : quel avenir ? »
Par Guy Boulianne | Le 09/07/2014 | Commentaires (0) | Éditions Dédicaces
C’est une vérité indiscutable : le lectorat francophone préfère le roman – voire un bon pavé – aux recueils de nouvelles. Ce fait est loin de dissuader les auteurs d’en écrire et de souhaiter en publier. Les éditeurs, par contre, sachant parfaitement à quelles méventes ils s’exposent, oseront fort peu prendre le risque de publier un recueil de nouvelles, surtout émanant d’un auteur « inconnu ».
Il est indéniable que les éditeurs qui ont osé défier ce véritable piège littéraire ont été contraints, devant la réalité du marché, de changer leur fusil d’épaule. L’un d’eux, les éditions HB, avait fait mieux encore : il s’était spécialisé dans les recueils de nouvelles ! Après avoir vaillamment tenu quelques années, il a fini par disparaître, lui aussi vaincu par la pauvreté du marché de la nouvelle.
Cependant, certains auteurs et éditeurs auxquels je me suis ouvert de ce genre de difficultés ont tenu à m’affirmer que la nouvelle, à notre époque, « ne s’était jamais aussi bien portée » (fin de citation). Pour étayer cette péremptoire information, ils citaient les revues littéraires qui en publiaient à foison. Certes, elles continuent dans cette voie. Pourtant, outre le fait que bon nombre de revues littéraires ont disparu faute d’abonnés en nombre suffisant, publier une ou quelques nouvelles dans chaque numéro, au milieu de poèmes et d’autres articles, n’est pas du tout la même démarche que d’éditer un recueil de nouvelles. De cette façon, en effet, la nouvelle se porte bien… dans les revues.
Même s’il existe des pays où le lectorat des nouvelles, même en recueils, est encore nombreux, elle demeure la parente pauvre de la production littéraire francophone. Le public anglo-saxon, allemand et espagnol raffole des nouvelles ; le public francophone, beaucoup moins – sauf au Québec, pays sous influence anglo-saxonne en dépit de sa défense de la langue française. En vérité, le goût pour la nouvelle n’est pas une question de langue, mais surtout de civilisation, de mœurs littéraires, en quelque sorte.
L’avenir de la nouvelle et de ses recueils réside donc dans le lectorat. Vous tous qui en écrivez, vous aimez lire des recueils de nouvelles, bien sûr. Mais les autres ? Vous préférez les romans ? À votre aise, à condition de ne pas oublier, à l’occasion, que vos éventuels recueils de nouvelles, s’il vous arrive d’en composer, se vendront beaucoup moins que vos romans, précisément pour les raisons qui vous les font fuir vous-mêmes !
L’avenir de tel ou tel genre littéraire, c’est notre goût, notre volonté, notre désir de lecture plutôt que de composition littéraire. Lisez des recueils de nouvelles avant d’en écrire et vous contribuerez ainsi efficacement à leur indispensable sauvetage. Ainsi soit-il.
par Thierry ROLLET
auteur, éditeur, agent littéraire
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Thierry Rollet Auteur édition écriture éditeur